Hocine BOUKELLA, auteur, compositeur, guitariste, chanteur, dessinateur…

Hocine Boukella
Hocine Boukella

Un artiste atypique, humble et iconoclaste, un poète aux multiples facettes : tantôt Cheikh Sidi Bémol l’auteur compositeur, tantôt Elho le dessinateur, tantôt tout simplement Hocine Boukella. Curieux du monde, il est tel un troubadour qui, au fil du temps, trace son chemin dans le paysage francophone, toujours fécond d’un germe créatif. Hocine Boukella a la philosophie d’un blues algérois en ballade parisienne, oscillant entre deux terres qui portent l’esprit par-delà les frontières, entre Alger, Paris, ailleurs… Quand il a atterri ici, il a troqué son microscope pour une guitare et un crayon, une autre façon de voir les hommes de l’intérieur et de l’extérieur. Écrire, composer ou dessiner, c’est venu comme ça, pour saisir des instants de vie et laisser l‘empreinte de ce qui le touche. Parce que voir l’Homme vivre l’interpelle, alors les chansons ou les dessins rendent palpables les êtres croisés dans la vie. Hocine Boukella peint les mots qui s’échappent de sa tête avec des traits crus et compose une musique qui donne des formes à des âmes en perdition. Sa voix rauque et chaude glisse sur des textes proches de la réalité du quotidien dans un monde peuplé d’ombres « comme ce Walou, ce Rien, il a un côté Don Quichotte semblable à ces gens au milieu de nulle part qui se battent dans des combats perdus d’avance : ils sont très forts, mais personne ne les voit ; c’est une ombre qui passe dans ta vie, on voudrait la voir, mais, au final, on ne la distingue même plus ». Il chante la vie, frémissant de ces quelques colères apprivoisées sur le bitume parisien. De ses irrévérences sans fausse pudeur, il pose un regard radical et voit le monde à travers ses yeux un peu désabusés par le Non-sens.

Photo de Marie-Pierre Dieterle
Hocine Boukella alias Cheikh Sidi Bemol

Sa musique devient une peinture tendre pleine d’ironie à la sensibilité écorchée devant les laideurs de la planète. Un univers minimaliste traitant des hommes sur un ton drôle ou grave avec des thèmes sulfureux ou décapants – entre bilan social et constat politique – d’une Algérie et d’un monde ballottés par les conflits ethniques, la corruption ou l’affairisme. Et il y a la religion : « Elle est négative, il n’y a pas d’échappatoire, la croyance inhibe la liberté et la responsabilité des individus, c’est un alibi. Bénéfique pour certains peut-être ? Mais, ne sont-ils assez grands pour décider de ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire, bon ou pas bon ? » Des émotions, prises au vif, se racontent sur des textes aux allures d’une bande dessinée, sur fond de solitude, d’alcool ou d’injustice. Hocine Boukella témoigne d’un quotidien secoué entre illusions et désillusions et décale avec des sourires, la réalité d’un monde ou émancipation veut dire immigration. Une passion musicale estampillée du nom Cheikh Sidi Bémol a trouvé sa résonance entre le Kremlin-Bicêtre, Belleville, Saint-Denis et Ivry, en passant par ce local de répétitions à Aulnay-sous-Bois où le groupe a vu le jour. Cheikh Sidi Bémol a mûri dans une ancienne usine à Arcueil – carte de résidence pour des sans papiers – aux allures de chantier artistique. Un espace à l’identité partagée et variable labellisé sous le nom du collectif Louzine. Si Hocine est un cheikh pas encore maître, ce titre honorifique est plutôt un clin d’œil qu’une manière pour lui de prendre les devants « Et Sidi Bémol ça sonne bien, non ? J’ai pensé comme ça un titre un peu pompeux, c’est juste histoire de dire qu’il ne faut pas tout prendre au sérieux ».

Les Sidi Bémol
Les Sidi Bémol

Sa musique, elle vient d’Algérie ou d’ailleurs, traditionnelle ou moderne, le déclic s‘est fait en écoutant celle de Jethro Tull. Elle a changé sa vision des musiques traditionnelles, elle lui a donné l’envie de tout mélanger : «J’ai voulu rendre compte de mon vécu et de mes émotions urbaines, en quelque sorte j’ai imaginé comment  un rocker anglais ou américain jouerait de la musique algérienne, ma musique c’est un peu tout ça. » Plus dépouillée, elle se resserre autour d’un quatuor, basse, batterie et guitares pour s’aventurer plus loin dans les vibrations d’un rock bien ancré sur la terre de ses racines kabyles. Les mélodies collent à la peau dans une élégante gravité, émouvante voire chavirante. Un melhoun dans un écrin de rock où le chaâbi prend une toutautre dimension. Un subtil mélange de musiques traditionnelles distillé dans une acoustique version électrique. Un style original toujours en mouvement étonnant ou détonant qui décape le terreau traditionnel algérien. Une musique vivante pas toujours facile à mettre dans une case. Sa recette à lui c’est le Gourbi-Rock, « un peu le bordel avec un côté provisoire appelé à se transformer, il n’y a pas de règle et avant tout c’est libre. » Puis, il y a Elho dessinant ce personnage sorti tout droit d’une de ses bandes dessinées un costume blanc, élégant, un tarbouch rouge : Elho invente Cheikh Sidi Bémol bourlinguant dans les villes avec une guitare comme compagnon de route. Hocine Boukella observe la vie ordinaire sans jugement péremptoire. Il emmagasine des histoires à la façon d’un biologiste de la rue, en quête d’une autre source de la vie. Il a toujours à la bouche un humour un brin caustique. Conteur au cœur algérien, charismatique et secret, avec dans les yeux des éclats de rire, tantôt il peint avec des notes, tantôt il compose avec son regard posé au bout des doigts. On dit de lui qu’il est inclassable et indomptable. Hocine Boukella ne sait pas être tristesse, ne sait pas non plus se rassasier de ce qu’il voit ou de ce qu’il entend, une chose est sûre, il sait être vivant. Hocine Boukella tantôt Cheikh Sidi Bémol, tantôt Elho, est en vérité à l’image de cette phrase de Boris Vian mise en exergue sur le mémoire de l’ancien étudiant en biologie génétique : « J’aime la vie et je m’en vais voir comment elle est faite ».
Pascale YOKO